L'interview des lauréats du prix de la nouvelle humoristique 2020

Lundi 15 juin 2020, à 19 heures, parée de ses oreillettes, Élodie Torrente, la fondatrice et organisatrice du prix de la nouvelle humoristique, s'empare de son téléphone. Le cœur joyeux, elle s'apprête à contacter trois des quinze finalistes de la sixième édition. Son but :  leur annoncer la consécration de leur nouvelle respective par les humbles et dévoués jurys 2020 de Libres Plumes.

 

Elle aime particulièrement ce moment, cette annonce aux finalistes devenus en une fraction de seconde les lauréats de l'année. Élodie ne tremble pas mais enfin, l'instant est solennel malgré la solitude inhabituelle qui l'entoure en ce 15 juin 2020 post-confinement. 

 

Puisqu'elle a décidé que le COVID-19 n'emporterait pas tout sur son passage, elle respecte les coutumes de la remise du prix de la nouvelle humoristique depuis sa création. L'annonce démarre toujours par la nouvelle recevant le troisième prix. Elle contacte donc en premier l'auteur, en réalité une autrice, qui a été désignée lauréate par le jury. 

 

Notre fondatrice respire un grand coup. Son rythme cardiaque s'accélère. Faut pas croire. C'est beaucoup d'émotions d'annoncer à des auteurs qu'ils l'ont emporté sur plus de soixante-dix autres participants. 

 

Marie-Pierre Tachet habite au Luxembourg. Elle décroche à la troisième sonnerie. Elle ne comprend pas et tout en s'excusant demande à Élodie de répéter(*). Une fois. Deux. Elle s'excuse, ce doit être le réseau. Élodie assène, de moins en moins joyeuse "Votre-nou-velle-a rem-porté-le troi-sième-prix !". La lauréate comprend enfin. L'annonce la surprend. La touche. Le sourire illumine le timbre de sa voix. mais finalement la communication est quasi-impossible. De guerre lasse, elles raccrochent. Elles échangeront par courriel. 

 

Consciente que son débit de paroles est souvent bien trop rapide (à l'image de son nom) pour la plupart de ses interlocuteurs (phénomène particulièrement accentué lorsqu'elle est émue), Élodie décide de parler lentement et plus distinctement lors de l'appel suivant. Même si le réseau semble en cause, ça ne peut pas nuire à l'appel.

 

Cette fois, l'heureux élu du deuxième prix habite en France. Peut-être que ça passera mieux. Qu'elle n'aura pas à dire plusieurs fois "Votre nouvelle a obtenu le deuxième prix".  À la troisième répétition, forcément ça ne fait pas le même effet de surprise. 

 

Elle respire profondément. Ne pas bafouiller, ne pas parler trop vite. Son cerveau n'est plus qu'injonctions. 

 

Par chance, la vie lui offre un répit.

L'appel échoue sur la messagerie.

 

Après le bip sonore d'usage, elle laisse un laconique :

"Bonjour Monsieur Cattiaut. Élodie Torrente de Libres Plumes pour le prix de la nouvelle humoristique. Pourriez-vous me rappeler ? J'aimerais m'entretenir avec vous. Merci. "

Elle raccroche et s'apprête à contacter le prochain lauréat quand le numéro breton clignote sur son écran de smartphone. Le deuxième prix ! Elle se racle la gorge avant de décrocher et de lui annoncer enjouée que le jury a primé Une enquête. Il lui demande de répéter. Élodie reprend sa respiration, articule davantage. Rien n'y fait. Elle répète une énième fois (*) "Votre-nou-velle-a-remporté-le-deuxième prix.". Décidément elle a la poisse. Pour une fois qu'elle annonce de bonnes nouvelles en ces temps troublés par des contingences sanitaires, un réseau aussi mauvais, c'est bien sa veine. Ils conviennent de se rappeler plus tard. Avec Libres Plumes l'aventure ne s'arrête pas à un prix. Ils auront tout le temps de discuter de nouveau. Ils se quittent le sourire aux lèvres.

 

Notre directrice craint maintenant le prochain appel même si elle est impatiente d'entendre l'auteur de Pour un bol de mou. Car s'ils la font répéter, elle, elle les entend très bien ! 

 

Elle saisit le numéro belge sur son clavier de téléphone. De nouveau, un répondeur l'accueille. De nouveau, elle laisse un message. Le même.

De nouveau, elle raccroche pour décrocher deux minutes plus tard. La Belgique s'affiche sur son écran. 

Elle respire un grand coup. 

Lui annonce ce premier prix attribué à sa nouvelle. 

Il ne la fait pas répéter.

Il est sans voix. 

Elle répète donc. 

Il finit par lui dire dans un sourire  "J'ai compris. Merci, merci, merci."

Il est surpris. Mais oui, oui, très heureux ! 

Bientôt, elle s'enthousiasme sur la nationalité des lauréats. Une Luxembourgeoise, un Français et un Belge, ce prix est vraiment francophone ! 

C'est là qu'arrive la catastrophe. 

"Euh, vous pouvez répéter ?"

Elle répète.

Il finit par comprendre. Il rit. Il est Parisien. Un Parisien qui vit à Bruxelles. Elle s'excuse de sa méprise avant de lui expliquer la suite de cette aventure.

Il l'interrompt car vraiment, il l'entend très mal.

Elle répète. 

Sans succès.

N'y tenant plus, ils se quittent en se tutoyant déjà, en se proposant de poursuivre par écrit. 

 

Élodie peste d'une telle mauvaise communication dans un moment pareil (décidément, quand ça veut pas, ça veut pas, se dit-elle) mais elle est soulagée. C'est fait. Le prix de la nouvelle humoristique 2020 a été décerné. Les lauréats ne tarderont pas à recevoir leur dotation. Elle est rêveuse aussi. Libres Plumes et ses jurys ont peut-être constellé d'étoiles l'esprit de ces trois participants.

 

Dans l'instant, elle évite de penser aux douze auteurs bientôt déçus à qui elle écrira demain. Chaque année, c'est un crève-cœur de décevoir ses pairs. D'autant qu'à l'inverse des cinq éditions précédentes, en 2020, il n'y aura pas de cocktail après l'annonce des résultats pour mieux se connaître, pour s'apprécier, pour échanger des cartes et des écrits.

Elle chasse ce futur proche. Demain est un autre jour.

 

Elle libère ses oreilles, pose son téléphone sur le bureau. C'est là qu'elle l'aperçoit. Cette prise Jack reliée aux écouteurs. Cette fiche insignifiante et...mal enclenchée dans le smartphone !

 

Elle est d'abord honteuse. Puis très heureuse d'avoir dû, par étourderie, joué les perroquets. C'est dans le thème. D'autant que ces lauréats ne manquent assurément pas de patience... et d'humour ! 

La preuve.

Ils ont accepté de répondre par écrit, (avec elle, c'est plus prudent), à deux de ses questions. 

 

- Pourquoi avoir participé au prix ? 

- Quel effet cela fait-il d'être primé ? 

 

En attendant de lire leurs nouvelles dans le prochain recueil, voici leurs réponses.

 

(*) : Les lauréats vous diront qu'ils n'ont jamais demandé à notre fondatrice de répéter. Et pour être tout à fait honnête, ils disent la vérité.

Arthur CADY, auteur de "Pour un bol de mou", 1er prix 2020

J'avais déjà participé au concours en 2017 et n'avais pas été sélectionné. À l'époque j'avais fait une mauvaise nouvelle, avec trop d'éléments et de personnages, sans vraiment d'idée "clef" qui articule le tout. Cette année, j'ai très vite trouvé cette chute que je pensais plutôt bonne et qui pouvait tenir sur la longueur. Je n'avais pas fait de concours de nouvelles depuis au moins trois ans, en grande partie parce que je travaillais à l'écriture d'un roman ! J'ai participé au concours pour garder la main et m'occuper entre deux réecritures de ce même roman, qui doit être à l'heure actuelle sur la pile "à lire" de quelques éditeurs. Enfin, j'espère.

J'ai toujours tenu l'écriture humoristique en très haute estime. Entre 2008 et 2012, j'ai écrit une cinquantaine d'articles pour le site parodique Désencyclopédie, dont beaucoup ont été primés par la communauté. Il y avait là, à l'époque, un noyau dur d'auteurs hyper talentueux qui écrivaient des articles et en commentaient d'autres de manière totalement bénévole et participative, et c'était une excellente école. Quand j'ai cherché quelque chose à écrire en été 2019 et que je me suis décidé pour un concours de nouvelles, c'est tout naturellement que je me suis tourné une deuxième fois vers le prix de la nouvelle humoristique.

Ce n'est pas de la fausse modestie, mais je ne m'attendais pas du tout à gagner. Je pensais avoir une idée assez bonne pour être finaliste, mais je trouvais à la relecture que certains éléments étaient un peu lourdingues, que d'autres auraient pu être mieux traités ou mieux amenés. Quand j'ai reçu ton coup de téléphone je m'attendais à entendre un "désolé" ! Je suis incroyablement flatté d'avoir été sélectionné, je ne m'en rends pas encore tout à fait compte. Dommage que le confinement ait annulé la cérémonie, j'aurais beaucoup aimé rencontrer l'équipe de l'association ainsi que le jury ; je me console en me disant que je rencontrerai le jury l'année prochaine, et que l'équipe y sera toujours ! Je suis désolé aussi pour les douze finalistes qui ont également raté les rencontres et ne remporteront pas de prix... Au moins ils ont l'avantage, eux, de pouvoir participer une nouvelle fois !

Didier CATTIAUT, auteur de "Une enquête", 2e prix 2020

J'ai participé au prix de la nouvelle humoristique par hasard, par curiosité, pour me rassurer peut-être, pour le plaisir, pour commencer à écrire avec un but. Toute histoire a un début...

 

 

Être primé m'a fait le même effet que 

d'aller m'asseoir à une terrasse de café au soleil et face à la mer avec mon amoureuse après trois mois de confinement : inespéré, joyeux, jubilatoire, apaisant, roboratif, vivifiant, avec quelques feux d'artifice dans la tête et plein de bonheur ! Je pense que je pourrais vite y prendre goût...

Marie-Pierre TACHET, auteure de "Le nouveau", 3e prix 2020

Je suis une lectrice et une autrice de nouvelles. Je trouve ce format très percutant et aussi très pratique : entre la lessive, le travail, les courses et la réunion de copropriété, rien de tel qu'une bonne nouvelle pour faire une pause. J'aime aussi beaucoup rire parce que la vie est plus simple si on y place un peu d'humour. Donc l'équation est simple : Nouvelles + Humour = Prix international de la nouvelle humoristique. J'ai participé pour partager ce que j'écris, je suis donc contente d'être primée. je suis contente qu'on ait ri en lisant mon texte et que d'autres personnes auront l'occasion de rire en le lisant grâce à la publication.