Lune de miel et cure de rire par Mathilde Lavergne

Lauréate du prix de la nouvelle humoristique 2018

Tout a commencé par un troisième prix de la nouvelle humoristique, gagné l'année dernière, et la frustration de n'avoir pu faire le déplacement. Cela s'est poursuivi grâce à la proposition d'Élodie Torrente : rejoindre le comité de lecture pour la prochaine édition du concours. 71 nouvelles à lire, à rire et à choisir... 71 nouvelles au goût de cornichons, inspirées d'une phrase du président du jury de cette année, Hervé Le Tellier : "Les baisers sont comme les cornichons du bocal. Quand on parvient à obtenir le premier, le reste vient tout seul." Bravo donc à tous ces auteurs, car de mon côté, j'avais beau saisir une idée, le reste ne venait pas du tout. J'aurais eu du mal à développer ce thème !

 

Cette année, j'ai tout mis en œuvre pour me rendre à Auvers-sur-Oise et profiter de ce déjeuner généreusement offert, à partager à la Guinguette de l'auberge Ravoux avec les autres membres du comité et ceux du jury. Autrement dit, j'ai refilé les enfants aux grands-parents, et embarqué mon homme avec moi. Non mais, tant qu'à faire, autant profiter d'un week-end en amoureux, non ?

 

Après une première nuit à Paris et une balade matinale pour rejoindre le RER, où je m'extasie : "Que c'est beau Paris quand-même !" et regrette déjà : "On aurait dû prendre un jour de plus pour se balader dans la capitale", je poursuis mon périple pour rejoindre Auvers sur Oise. Je redécouvre donc les joies des transports en commun. Ça me fait passer mes regrets : "Bon sang ! C'est nul Paris ! C'est quoi cette gare immense, où il n'y a pas un seul vrai bonhomme pour te conseiller ? Y a que des machines dans cette ville à la con ou quoi ?".

 

Quelle joie d'arriver à Auvers sous le soleil du printemps ! Hop, j'abandonne mon homme et mes bagages et vais à la rencontre des autres convives. Avec ma timidité et mon admiration en bandouillère. Heureusement, Sophie Dolléans, proche de ma place me met de suite à l'aise : "P... alors c'est toi qui as mal noté cette nouvelle ? Je la voulais dans les finalistes moi, t'abuses !" Euh... Je vais y aller moi... Quoi que, le plat a l'air succulent, des rires éclatent en bout de table, mes voisins de tablée ont l'air sympa, et Sophie s'étouffe bientôt à cause d'un excès de poivre dans son assiette. Avec sa bouche en feu, elle pensera à autre chose que cette nouvelle cornichonne qui ne nous a pas fait le même effet...

 

S'ensuit une visite de la chambre de Van Gogh, que je ne troquerais pas contre notre belle chambre à l'hôtel des Iris, tant pis si mon séjour à Auvers sera moins prolifique que celui de l'artiste. (Sérieux, 80 toiles en 70 jours ? C'est gravement prolifique non ?)

 

Puis un tour de table, enfin de chaises, puisqu'il n'y a pas de table, comme le remarque Élodie avec une très grande perspicacité. Rencontre et échanges avec les finalistes, le jury, le comité. Zut, il fallait savoir se présenter en public ? Pas prévu ça moi. Je deviens rouge tomate devant tous ces auteurs qui parlent avec aisance de leurs nouvelles vertes cornichon et de leur parcours. Comme c'est étrange et agréable de découvrir les visages de ceux qu'on a lus et appréciés sans connaître leur identité... D'ailleurs, j'ai quelques surprises pour certains auteurs : j'avais imaginé reconnaître la plume d'une femme plutôt que d'un homme ou l'inverse. Comme quoi. Lire des nouvelles anonymes, c'est un peu le même principe que The Voice, sans les pubs et sans Jenifer. Juste l'essentiel, le style, le rire, pour dire : "Toi, je te veux dans mon équipe de finalistes à Auvers sur Oise !"

 

Et puis les discours d'Hervé Le Tellier, de Pascal Fioretto, de Frédérique-Sophie Braize et des autres auteurs suscitent mon intérêt. Évidemment. On parle de nouvelles. De difficultés à se faire éditer (tiens, je le savais ça), et de la nécessité d'écrire de l'humour. J'aime ce petit rappel de Le Tellier, ce petit clin d'œil au nom de notre langue : "langue de Molière", qui oublie trop souvent d'être drôle et que j'essaie le plus d'enseigner avec le sourire.

 

Rendez-vous ensuite, à la librairie La 23ème marche pour la signature d'autographes. Mignonne petite librairie que je ne regrette pas de ne pas avoir à Pau, car je risquerais d'y dépenser régulièrement et en quelques instants mon maigre salaire. Je vais faire ma groupie, je ne cache pas mon jeu. Un détour par l'hôtel pour récupérer mes livres à faire gribouiller par les auteurs, et me voilà déjà en train de quémander des dédicaces. Le Tellier, qui illustre sa dédicace de La Chapelle Sextine d'un ciel nuageux (les esprits tordus comprendront). Élodie Torrente (dont je venais de dévorer le roman, VOSTFR, et j'y reviendrai dans un prochain article...). Bernard Baudour, ancien lauréat, dont j'avais envie de découvrir l'univers en me procurant un de ses romans : Les soldats de plomb. Frédérique-Sophie Braize proposait aussi son dernier roman Lily sans logis (que je ne tarderai pas à lire non plus). Et enfin, je m'offre Et si c'était niais de Pascal Fioretto, que j'avais gagné l'année dernière, mais que ma cousine, l'ayant sûrement tellement aimé, a "oublié" de m'envoyer. (Je ne lui en veux pas. D'un elle m'a représentée l'année dernière, et de deux, moi j'ai l'exemplaire dédicacé, nananère.)

 

Ensuite, arrive l'heure de la remise des prix, dans la très belle mairie du village. Le chat noir, à la posture délicate, symbole si convoité du prix de la nouvelle humoristique, apparaît sur la table de Mme la maire, remplacée temporairement par Élodie et les membres du jury. Vient l'annonce des lauréats :

1er Prix : Le génie du bocal par Laurent Lagarde

2e prix : Toucher le fond par Xavier Serrano

3e prix : Les condiments de la discorde par Stéphanie Levi

Ceux-là je ne les avais pas saqués, promis ! Je les avais adorés, donc je suis heureuse que le jury soit du même avis que le comité.

 

Alors que mes yeux me piquent un peu, parce que je regrette de ne pas avoir reçu mon prix en main propre l'année passée, je suis rassurée de constater l'aisance des lauréats à formuler un discours drôle et efficace (et même par procuration pour le troisième prix.) OK les gars, on ne joue pas dans la même catégorie. C'est un métier ça de faire des discours. Malgré mes dix ans de théâtre, je préfère rougir et me cacher derrière un sourire que de parler devant du monde. Tiens d'ailleurs je me suis bien cachée sur les photos de groupe. Ça ferait un bon : "Où est Mathilde ?" (Des heures de tranquillité si on refile le défi aux enfants avec les photos sous les yeux. Tiens c'est une bonne idée ça... À tester...) Bravo donc à tous les lauréats pour leurs écrits et leurs discours. Moi, il me faudrait deux grammes d'alcool pour blaguer en public, mais à 16 heures ce n'est pas très convenable. Si ?

 

On sort ensuite apprécier un bon buffet devant la mairie : petits fours, champagne et bavardages. Ça faisait un moment que je n'avais pas gaffé, j'ai trouvé l'instant opportun devant un homme élégant dont je n'avais pas retenu le nom, car nous étions éloignés pendant la journée (et aussi oui, parce que je souffre d'une très grave maladie : la prosopagnosie. Je suis incapable de reconnaître les gens à qui je viens de parler quelques instants auparavant. Si je vous croise au supermarché alors que j'ai l'habitude de vous voir au travail, je mettrai un certain temps à vous reconnaître, ou je ferai semblant. Et si je vous vois en soirée, passé deux heures du mat', je ne vous reconnaîtrai plus jamais. Ah c'est un autre problème ça ? Punaise elle est longue cette parenthèse. Bon je la ferme. La parenthèse.) Donc, je demande à cet homme, me permettant le tutoiement qui va avec le prix de la nouvelle humoristique : "Et toi ? Tu étais lauréat l'année dernière aussi ?" Silence. "Non, moi je suis le président de l'association Libres Plumes." Oups. Mais oui évidemment...  (Pardon monsieur le président !)

Et si on allait faire une balade dans Auvers ? Ça me semble être le bon moment non ?

On part alors sur le chemin de Van Gogh, suivant les petites ruelles, passant devant l'église, les champs, le cimentière adjacent, profitant du soleil couchant (c'est chiant les rimes en "an" nan ?). Et puis sur le retour on croise Élodie, Céline Santran (la paloise de cœur) et Sophie (la fausse méchante, mais la vraie drôle). Un petit rab de l'équipe avant de rejoindre notre hôtel et notre lune de miel ? Bien sûr !

 

De notre côté, le pari est réussi, on a allié séjour à deux et humour à plein. Parfait.

Pour le concours, je crois que le pari est réussi aussi. Élodie a parlé de volonté de grande famille autour du prix, je crois que c'est déjà le cas. Même si on ne s'était jamais vus, je me suis sentie à ma place parmi tous ces auteurs amateurs, professionnels, ou moitié-moitié. Chaque échange a été instructif, sinon drôle, voire les deux...

 

Pour moi c'est tout vu, maintenant que je suis dans la famille, je ne veux plus en sortir. On ne me mettra pas à la porte, je suis pire que les ados attardés qui ne quittent jamais le nid. Si on veut me virer du comité de sélection, je repasserai par la petite porte et je referai le concours (en croisant les doigts pour être finaliste une nouvelle fois). Je compte bien retourner à Auvers et à l'hôtel des Iris. (Parce que punaise, c'est un sacré bon prétexte pour laisser les gosses aux grands-parents,  non ?)